Il existe une mer entre la France et l’Angleterre. Et comme l’on scrute les falaises de Douvres depuis Calais, la sensation est souvent la même : on se sent de côté-ci de la Manche tout aussi loin que proche de cette île que parfois la brume dérobe à notre curiosité. Pierre-Henri Allain a voulu percer ce voile tout lui laissant son pouvoir de masquer le réel. De cette façon, dans sa quête d’approcher le musicien anglais Peter Hammill, il lui concède la distance que ce dernier tient à entretenir avec ceux qui s’intéressent de trop près à lui et à sa prolifique production musicale à l’avant-garde d’une pop savante née dans les années 1960, qui donnera ce que l’on nomme désormais rock progressif.
Le filiforme et séduisant garçon, autodidacte, qui est au centre du trio Van der Graaf Generator, noyé dans la profusion de groupes musicaux aux envolées lyriques et moyenâgeuses qui contrastaient avec la simplicité des groupes rock influencés par la culture américaine, n’a pas obtenu une large reconnaissance de son talent (sinon en Italie nous dit l’auteur). Partant, il fallait restituer un contexte, de ses débuts à sa canonisation par des dévots ; c’est ce qu’a entrepris le journaliste et musicien sous une forme très personnelle où il mêle sa propre vie à celle du compositeur.
Mark Hammill, avec sa musique complexe et noire, a pourtant ouvert la voie à de plus jeunes musiciens pour avoir exploré des sons crissants qui, s’ils nous paraissent évidents aujourd’hui quand on écoute les New York Dolls, ne l’étaient certainement pas alors. Son apport au mouvement glam rock puis punk rock se décèle mieux dans ses albums en solo que dans les expérimentations de VDGG. En bref, de Roxy Music à David Bowie puis des Sex Pistols aux Stranglers, on sent bien en quoi et la façon de chanter et la recherche de sons bruts (dont l’album Nadir’s Big Chance de 1975) de Hammill ont eu de l’influence. Comme tous les précurseurs, il n’a pas suivi une recette, il est souvent sorti de la route pour se perdre sur des chemins tortueux et retrouver sa boussole dans des clairières de grâce. Notamment servie par une voix somptueuse.
Il est toujours délicat de vouloir décrire la musique à l’écrit sinon par les émotions qu’elle suscite et aussi sa faculté à accompagner nos vies comme une vieille camarade sur l’épaule de laquelle on peut s’épancher. Ce qui ressort du livre de Pierre-Henri Allain est surtout cette recherche d’un temps qui fuit (même si Peter Hammill est toujours actif) ou cette fouille méthodique de traces de mémoire non moins fuyantes. En écoutant Hammill, toutes sortes de compositions à lui postérieures affleurent, signe qu’il a bien été le pivot de la grande révolution rock des années 1970. En guise de justification à son travail d’auteur, Pierre-Henri Allain écrit ceci qui dit tout, mieux que cette tentative d’attirer l’attention sur son livre : « Hammill c’est un peu Hamlet et le Baron Perché réunis. Un mélange de métaphysique et de poésie, mais aussi de colère et de pudeur, de distance et de générosité. Et encore ce vieil ami, ce grand frère qui vous envoie de temps en temps de ses nouvelles, pour s’adresser à vous personnellement, intimement. » Voilà.
Olivier Villepreux
Peter Hammill. Le rock indocile. De Pierre-Henri Allain (Éditions Goater, 2024) 12 euros.
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